Radioscopie glaçante de la France d'aujourd'hui: l'insouciance de Karine Tuil

Roman qui colle à l’actualité, foisonnant, avec une écriture très précise. On est dans la tête de plusieurs personnages : un jeune sergent qui revient d’Afghanistan Romain, une étoile de la politique Osman qui après avoir approché les arcanes du pouvoir s’en trouve exclu. Marion une écrivaine et journaliste qui a publié un 1^er roman remarqué et qui est marié à un riche homme d’affaire François: roi des télécommunications. Ces personnages de classes sociales, caractère différents vont être au cœur de l’actualité brûlante.

C'est une radioscopie parfois glaçante des milieux de la politique, des quartiers mais aussi un décryptage des ravages de la guerre, de la passion dans une vie. Cette fresque fait réfléchir sur l’humain, ses choix de vie, sa volonté de s’élever, son sentiment religieux.

J’avais déjà apprécié la maîtrise de la construction dans le précédent roman de Karine Tuil,elle se confirme ici. Par petites touches, en mêlant réalité et fiction, elle nous fait réfléchir à notre société, ses valeurs, ses blocages. Un monde de bruit, de luttes réelles et mortelles dans les souvenirs du soldat, feutrées et ridicules en politique à travers l’expérience d’Osman. Cette violence sous jaccente qui est malheureusement au cœur de notre société. On plonge dans une lecture immersive qui alterne les beaux et les bas quartiers, la peinture d’une France moderne des années 2000.

J’ai apprécié le personnage d’Osman , sa réflexion identitaire, son envie de changer le monde qui se heurte aux codes des initiés de la politique. J’ai été touché par François qui se retrouve prisonnier de scandales et d’une identité qu’il n’a pas. Le traumatisme de la guerre est bien décrit à travers le personnage de Romain et la force des sociétés privées aussi dans la dernière partie en Irak. La folie du fanatisme est bien illustrée à travers Issa qui se radicalise ou encore le fils de François, ce qui est assez terrifiant. J’aurais aimé une place plus importante de Sonia qui n’est que le reflet inversé d’Osman par moment. Par contre, j’ai moins été convaincue par Marion, ses hésitations et son mal être, ce personnage ne me laissera pas un grand souvenir. La violence des rapports sociaux n’est pas éludée avec l’opposition entre Sonia et Osman, elle qui fait partie du sérail et a les codes et lui qui se sent exclue, illégitime et doute de plus en plus.

J’ai terminé ma lecture avec une sensation de plus en plus lourde, la gravité du propos, la montée de cette folie qui fait qu’on ne considère plus l’autre comme un humain mais comme son ennemi, sous prétexte de sa religion ou de sa nationalité est anxiogène. L’écriture est dense, documentée mais j’aurais aimé un développement des personnages plus humanistes que sont les parents d’Osman par exemple, le conseiller de François qui aurait compensé parfois la violence des propos.

Donc je ne peux pas dire si j’ai aimé ou pas ce livre, je suis partagée, il est brillant mais il m’a manqué quelque chose pour transformer et m’approprier ces histoires mais bon c’est mon côté optimiste qui parle ici et ça n'enlève rien aux qualités indéniables de ce roman.

A vous de comprendre la fin de l’insouciance qui dépeint bien notre monde tourmenté et bouleversé par la folie humaine et la violence sociale.