Fantaisie réaliste: un funambule sur le sable de Gilles Marchand
Une fantaisie réaliste qui met de la poésie dans le réel, qui évoque, sublime et interroge le lecteur. Avec une langue originale qui mêle la fantaisie et les côtés sombres de la vie. L’auteur est aussi à l’aise dans la description de la vie de la cour de récré, dans la dinguerie de faire parler des oiseaux que dans la description ultra précise de la douleur, de la confrontation à la norme. Stradi, ce petit garçon passionné de livres avec un père inventeur, une mère prof et un grand frère qu’il adore mais Stradi a une particularité : un violon dans la tête.
Ce qui va l’amener à voir la vie autrement, à se rapprocher de Max, son meilleur ami dingue de musique. La force de l’auteur est d’apporter de la lumière, d’aborder autrement le thème de la différence dans notre monde normé et aseptisé. Ce thème m’a parlé, a fait écho. Ca parle quand on ressent un malaise, un décalage quand on ne correspond pas aux critères de réussite, de « normalité » ou d’esthétique de la société. Quand la santé n’est pas toujours là et que votre corps vous impose parfois sa loi, quand chaque jour est une lutte pour rester debout, avancer tenter de vivre normalement mais que ça ne se voit pas extérieurement.
On s’attache à ce petit garçon, à son violon et on le suit pas à pas. On se retrouve dans ses hésitations, ses maladresses, ses interrogations face au monde. La folie, la douleur, la perte, la bêtise sont là mais elles font face à la musique, l’amour, l’amitié, la mer. Une vision de la vie certes imparfaite pas toujours drôle mais pleine de vie avec ce violon, qui rythme, accompagne Stradi.
On retrouve les symboles propres à l’écriture particulière de l’auteur avec ce plombier entreprenant, ce demi-chien ou la gentille voisine du 1er. La folie du père de Stradi obsédé par les inventions puis par la grammaire.
J’ai aimé les clins d’œil légers aux personnages de son 1e roman (Pierre Jean, l’homme à l’écharpe et la dame au chien). J’ai été émue par cet univers à la fois doux et brutal où on oscille entre rire et larme. Handicap visible ou pas, être hors norme ou dans les clous plus généralement l’auteur questionne le lecteur sur son regard sur l’autre, sur la différence. Moi ça a été longtemps ma couleur de peau, mes origines, puis la santé incertaine par moment. Peu à peu il montre qu’avant tout on est semblables, humains et qu’on a les mêmes rêves.
Jusqu’à la dernière note, le dernier mot, on voyage, vibre, pianote, hurle, chante, pleure avec Stradi. Gilles Marchand fait danser le lecteur comme son personnage sur le fil du rasoir. Un fragile équilibre de poésie, douceur, tendresse sur un sujet délicat. La difficulté d’être soi dans notre société verrouillée, fermée comme les parents de Lélie figés dans leur besoin de normes, de codes qui excluent pour se rassurer. Lélie le personnage lumineux de l’histoire, l’amour de Stradi, un beau portrait de femme aux jambes interminables. Une pause de tendresse, une volonté de faire tomber les barrières par amour, de tenter le pari sans prendre en compte son entourage.
Un livre qui comme le 1e roman de l’auteur aura une place particulière dans mon panthéon de lecture, une exception, une belle surprise, une parenthèse d’émotion qui m’a scotchée et retournée le cœur. La magie a opéré de nouveau et je me suis laissée happée par la musicalité des mots, l’univers doux dingue, hyperbolique de Stradi.
Alors foncez et découvrez cette symphonie, cette ode à la vie, à l’humain, à l’acceptation de soi et des autres et marcher à côté de ce funambule qui ravira votre cœur.