Saisissant les brasseurs de la ville d'Ewains Wêche
Un premier roman saisissant, hors des sentiers battus, l’auteur nous conte l’histoire d’une famille à Haïti. La narration est à deux voix, celle des parents de 5 enfants, deux filles Babette, Lizzie et 3 garçons Alcéhomme, Jonathan, Yvon.
La mère vend des serviettes sur le marché, fait des petits boulots, se prostitue pour nourrir la famille. Le père travaille dans le bâtiment et cumule aussi les heures pour réussir à ramener un peu de nourriture à sa famille.
C’est le récit de la misère, de la désespérance, de la débrouille qui nous est conté par l’auteur. Ce pays tentaculaire comparé à un mendiant, une prostituée qui ne survit que par perfusion des aides internationales, de l’ONU. La corruption, la violence, la misère des bidonvilles est décrite de manière très précise. La femme est vue comme un objet, une personne débrouillarde qui utilise son corps pour assurer leur subsistance. En espérant la rencontre avec un étranger, un fonctionnaire ou un homme marié qui l’entretiendra elle et sa famille.
La faim quotidienne, les transports en commun inexistant, l’absence d’hygiène, la peur de la mort et surtout la honte. La honte de ne pas pouvoir élever correctement ses enfants, de ne pas pouvoir leur assurer un avenir, de ne pas être aussi savant est présente dans le récit.
La narration est originale avec un mélange de voix le père et la mère se répondent, comme s’ils ne formaient qu’une seule personne, un corps, uni malgré la misère, les compromissions. On se perd au départ dans cette narration, mais peu à peu, on ne cherche plus à savoir qui parle mais on se laisse bercer par la voix. Cette voix qui décrit un pays réduit à des systèmes d’entraide, de débrouille, où on ferme les yeux sur la prostitution, l’exploitation des filles pour assurer le lendemain. Le destin de Babette, la fille ainée du couple que je vous laisse découvrir est d’ailleurs emblématique de cette vie. On se pose alors la question jusqu’où faut il aller pour survivre ? Comment des personnes peuvent être mises à mal, se déshumaniser à ce point là ? Il y a des passages dur mais paradoxalement ce qui lie les personnages c’est le fait qu’ils sont une famille.
J’ai apprécié les descriptions, cette vision réaliste, sans concession, les interrogations des parents sur leurs actes. La fin qui dévie vers autre chose, une réflexion à une plus large échelle sur la violence acceptée à Haïti. Loin d’être donneur de leçon, l’auteur nous plonge dans cette famille et nous met à leur place, il réussit à nous dépayser et à nous embarquer dans ce voyage. Malgré quelques longueurs parfois, on ne peut pas lâcher ce roman car on se demande ce qu’il va arriver aux personnages, jusqu’où ils vont aller ?
Alors laissez vous prendre par ces voix multiples qui conte la vie à Haïti, comprenez pourquoi les haïtiens sont des brasseurs de la ville et le destin tragique de cette famille qui ne veut qu’une seule chose : survivre.
PS: premier ouvrage officiel lu dans le cadre de l'aventure des 68 premières fois qui consiste à lire des premiers romans de l'année et à faire voyager ces romans. Vous trouverez donc régulièrement des 1ers romans sur le blog grâce à cette folle aventure. Merci aux organisatrices de cette aventure littéraire. Et elle commence bien.