Juke box : Requiem pour une apache de Gilles Marchand

Gilles Marchand est comme le bon vin, il se bonifie de livres en livres. Il réussit à nous immerger totalement dans son univers musical, son écriture joue avec les tempos, tantôt rapide, enjouée, folle tantôt triste, mélancolique, rêveuse. Il nous invite au cœur d’une famille, une famille recomposée, avec de sacrés loustics. Jésus qui gère l’hôtel et qui a un grand cœur où se retrouve tout ce petit monde. Antonin, le plus jeune, qui ne quitte pas son harmonica et n’arrive jamais à jouer un air en entier, l’ancien catcheur Marcel, Vieux John retraité de la chaine de montage à l’usine, Marie Pierre vendeuse d’encyclopédie, fière de son métier. Annie qui ne veut parler qu’en citant de la poésie, Joséphine, ancienne fumeuse qui photographie à tout va. Le narrateur Wild Elo, ancienne gloire de la chanson, auteur d’un tube les cœurs déchirés.

Ce petit monde vit, débat, écoute de la musique sur le vieux juke box de Jésus, jusqu’à ce que Jolène, une jeune femme discrète, vienne un soir pousser la porte et écouter cette chanson de Dolly Parton. Elle va bouleverser ce petit monde et la vie du quartier. Elle, la caissière que personne ne voit, à qui personne ne dit bonjour, qui n’est qu’un prénom à sa caisse, va se révéler au sein de cette petite bande.

L’auteur réussit comme toujours à mélanger la dénonciation de l invisibilité, du racisme, de la bêtise humaine, du cynisme de la société. A redonner ses lettres de noblesse, à ces personnages qui se sentent inférieurs, moins que rien, qui ont l’habitude de baisser la tête et de se faire marcher dessus. Il développe ses motifs récurrents la musique, le pouvoir des mots et de la poésie cette fois ci tagué sur des murs, la 2^nde  guerre mondiale ; la solitude, la marge. On prend plaisir à recroiser des personnages de ses autres ouvrages, la dame et son chien, le réverbère, l’homme à l’écharpe, les mirages, le funambule ici sur le trottoir.

On se laisser bercer par la voix du chanteur qui a un regard tendre, désabusé sur ces aventures, on sait que les ennuis vont à un moment se profiler, mais on savoure l’ivresse, la folie, de ces doux dingues, ces déclassés qui veulent juste qu’on leur fiche la paix. Et qui pour la première fois disent NON.

 A travers le narrateur, on sent la tendresse de l’auteur pour ses personnages, on retrouve aussi sa fantaisie avec un double fumeur, un bizarotron qui mesure le degré de côté bizarre d’une situation. Dès les premières pages, on adopte cette bande de bras cassés, on se sent bien avec eux, on se reconnait tous un peu en eux, à travers leurs failles, doutes, espoirs. On a tous été un peu Paul l’architecte et ses rêves fous, on envie Bonnie and Clyde et leur amour fusionnel. On apprécie la passion culinaire de Mario.  On a aussi envie de casser la gueule à la bêtise administrative, aux bassesses de la présidente de l’association de riverain du quartier, à la rumeur . On a le cœur serré à l’écoute de l’histoire de certains personnages. Et on prend plaisir à voir Jolène s’affirmer, grandir et tenir bon. L’écriture de l’auteur s’est encore embellie avec les jeux sur les sonorités, sur les mots, une véritable petite partition qui met si bien en musique les aventures de ses personnages. Un régal en soi de lecture. La bande son des Beatles, Doors,les Beach Boys et le Sud de Nino Ferrer accompagne notre voyage littéraire.

Un roman qui m’a fait sourire, étonné, souvent serré le cœur, un roman qui vous fait danser, valser, rêver et qui résonne encore et encore comme le juke box de Jésus où le nom de Jolene, tourne et tourne encore. Un roman qui une fois de plus va peupler ma mémoire livresque, je suis ravie d’avoir rencontré cette jolie bande, j’espère avoir de leurs nouvelles dans le prochain roman de Gilles. Son recueil de nouvelles des mirages plein les poches m’avait déjà secoué, là ça y est j’ai un nouvel auteur de roman favori.

Comments

[Antigone]

Je le lirai certainement. Merci pour ton coup de coeur !!